Des Frères chez les Mayas

 

De multiples aventures

Dominicains et Franciscains en pays maya - XVIème siècle

Un voyage de Las Casas au Tabasco et au Chiapas

Pedro de Barrientos à Chiapa de Corzo

Las Casas contre les conquistadors

Fuensalida et Orbita, explorateurs

Le regroupement des indiens

 

De nombreuses études

Un frère ethnologue, Diego de Landa

La connaissance des langues mayas

Deux enseignants, Juan de Herrera, Juan de Coronel

Deux freres historiens, Cogolludo et Remesal

 

Une multitude de constructions

Un Franciscain architecte, Fray Juan de Mérida

Le couvent de Valladolid au Yucatan

Le couvent d'Izamal et ses miracles

Au Yucatan, une église dans chaque village

Un Dominicain infirmier, Matias de Paz

 

Une difficile entreprise d'évangélisation

La pacification de la Verapaz

La fondation du monastère de San Cristóbal

La province dominicaine de Saint Vincent

Une évangélisation autoritaire

Les Franciscains et la religion maya

Un échec des franciscains à Sacalum, Yucatan

Domingo de Vico, martyr dominicain

 

La fin de l'aventure

Le retour dans les monastères

 

Compléments

Las Casas et la liberté des indiens

L'Histoire Ecclésiastique Indienne de Mendieta

La route de l'évangélisation dominicaine au Guatemala

Le couvent de Ticul, vu par John Lloyd Stephens

Les Franciscains dans la vallée du Colca, au Pérou

La route des couvents du Yucatan au XVIème siècle

La mission dominicaine de Copanaguastla, Chiapas

 

A votre disposition, sur demande :

- des renseignements concernant les pays mayas,

- des textes numérisés sur la conquête et la colonisation des pays mayas

 

Correspondance :

moines.mayas@free.fr

 

 
 

 

 

 

 

 

LA PACIFICATION

DE LA VERAPAZ

 

 

 

 

 

 

 

Bartolomé de Las Casas (1484-1566) affirmait que l'évangélisation des indiens d'Amérique devait être effectuée de façon pacifique et non par la conquête militaire. Il exposa son point de vue dans un ouvrage en latin : De unico vocationis modo omnium gentium ad veram religionem (De l'unique façon d'amener tous les peuples du monde à la vraie religion) : "Le bon prédicateur chrétien doit répondre à cinq conditions : n'avoir aucun propos de domination sur les païens ; être pauvre ; se montrer affable et paisible ; n'être motivé que par l'amour, par cette ardeur même qui anima un Saint Paul ; avoir une conduite digne des vérités qu'il annonce". Après un échec au Venezuela, il tente une expérience au Guatemala, dans une région insoumise, le Tezulutlán ou Terre de guerre, appelée plus tard la Verapaz.

 

 

Vidas Ilustres, Fray Bartolomé de Las Casas, Apóstol de los Indios, Navaro, 1957

 

Bartolomé de Las Casas décide d'évangéliser la Terre de Guerre

 

"Et au moment où le père Bartolomé de las Casas fit cette proposition, soit en mille cinq cent trente sept, il n’y avait pas d’autre terre à conquérir, dans toutes les provinces du Guatemala, que celle de Tuzulutlán, pleine de rivières, de lagunes et de marécages, montagneuse et rude et couverte de forêts très épaisses à tel point que l’humidité qui s’en dégageait formait des nuages denses et qu’il y pleuvait continuellement. Les gens qui y habitaient étaient des épouvantails pour les Espagnols, qui les avaient attaqués trois fois et à chaque fois avaient fait demi-tour les mains en l’air ; de ce fait ils les considéraient comme féroces et barbares, impossible à dompter et à assujettir comme cela avait été le cas dans les autres provinces et ils nommaient donc le Tuzulutlán Terre de guerre, et moi aussi je l’appellerai de même par la suite."

 

"Le père Bartolomé de las Casas se proposa d’aller vers cette province et ces gens-là et de faire en sorte qu’ils se déclarent volontairement vassaux du Roi de Castille, qu’ils lui versent, comme à leur seigneur, un tribut en fonction de leurs possibilités, qu’ils montrent par leurs actes ce que la religion chrétienne pouvait améliorer en eux, le tout sans fracas d’armes ni de soldats, mais par la seule parole de Dieu et l’enseignement de l’évangile saint."

 

(Antonio de Remesal, Historia general de las Indias occidentales y particular de la gobernación de Chiapa y Guatemala, livre 3, chapitre 10)

 

 

 

Bartolomé de Las Casas par Julio Prieto dans "Doctrina", UNAM, 1941

 

 

Les frères transforment le catéchisme en poèmes

 

"Cet accord ayant été réalisé, les pères de Saint Dominique commencèrent à réfléchir et à faire des plans pour remplir la promesse qu’ils avaient faite, et comme les signatures et les promesses étaient données au nom de Notre Seigneur Jésus-Christ, garant de leur parole et qui les protégeait comme ses serviteurs, ils s’en remirent à lui par des prières très ferventes, des jeûnes, des disciplines et autres mortifications ; ils y passèrent plusieurs jours et le Seigneur leur suggéra le moyen le plus efficace qui se pouvait imaginer, connaissant la mentalité des indigènes, pour parvenir au but qu’ils visaient, moyen évident et facile comme Dieu sait les procurer dans des circonstances semblables où il s’amuse à ébranler les certitudes des sages de ce monde et réduire à rien les spéculations des savants de cette terre. Les trois religieux qui avaient signé le contrat, le père Bartolomé de las Casas, le frère Rodrigo de Ladrada, le frère Pedro de Angulo et un autre qui n’est pas nommé, qui devait être le frère Luis Cáncer, tous connaissaient très bien la langue de la province du Guatemala, qui est pratiquée dans tout le Quiché et Zacapula et tous ensemble écrivirent des strophes en vers, conformes à ce que la langue permettait par ses consonances et cadences, mises en mesures pour donner le meilleur effet à l’audition, à leur avis. Ils y mirent la création du monde, la chute de l’homme, son exil du paradis et comme il ne pouvait pas y retourner, par la volonté divine, sinon moyennant la mort du fils du Dieu, et comment il dût mourir pour racheter le monde ; et de façon à la faire connaître, ils mirent toute la vie et les miracles du Christ Notre Seigneur, sa passion, sa mort, sa résurrection, la montée aux cieux, et quand il viendra pour la seconde fois juger les hommes et le but de ce retour, le châtiment des mauvais et la récompense des bons. Cet ouvrage était très long et donc ils y marquèrent des pauses et différentes versifications à la mode castillane et comme ce furent les premiers poèmes écrits dans la langue des indiens, ils méritaient de ne pas être oubliés au profit de beaucoup d’autres apparus par la suite."

 

 

San Cristóbal Verapaz, la lagune Chichoj, l'église paroissiale et la Chapelle du Calvaire

 

Ils envoient quatre commerçants indiens en Terre de Guerre

 

"Le père Bartolomé de las Casas prit contact avec quatre commerçants indiens de la province de Guatemala, avisés et intelligents, qui allaient plusieurs fois par an dans la région de Zacapula et au Quiché avec des marchandises, ce qui faisait qu’il étaient bien connus de tous et réciproquement, grâce à leur métier de vendeur et d’acheteur. Les pères enseignèrent avec grand soin les couplets versifiés qu’ils avaient composés à ces quatre indiens qui étaient chrétiens : ces derniers, séduits par le contenu et la forme de ces vers qu’ils découvraient pour la première fois, les retenaient si bien qu’on ne pouvait demander mieux ; pourtant cela se prolongea jusqu’à mi août de mille cinq cent trente sept et il fallut alors rendre compte de ce qui s’était passé à la Ville de Santiago et à la Province de Guatemala et de ce qui avait été convenu entre les religieux et le gouverneur à l’Audience de Mexico et au père Domingo de Betanzos, provincial de la Nouvelle Espagne, qui approuva tout avec grand plaisir et donna sa bénédiction au père Bartolomé de las Casas et à ses compagnons, leur envoyant son accord concernant l’expédition à laquelle ils s’étaient engagés pour la plus grande gloire de la sainte obédience."

 

(Antonio de Remesal, Historia general de las Indias occidentales y particular de la gobernación de Chiapa y Guatemala, livre 3, chapitre 11)

 

 

Les commerçants indiens arrivent chez le Cacique

 

"Revenons aux événements de l’année mille cinq cent trente sept et au plus important, l’expédition des pères de Saint Dominique en terre de guerre visant à apporter pacifiquement l’évangile du Christ Notre Seigneur, qui est notre paix véritable ; on a dit dans le chapitre onze antérieur, comment les pères donnèrent leurs couplets à apprendre aux marchands indiens et il faut savoir que non seulement ils en furent contents mais qu’ils les mirent en musique, en fonction du ton et de l’harmonie des instruments utilisés par les indiens, avec un accompagnement sur un ton vif et aigu pour mieux réjouir l’oreille, car les instruments qu’emploient les indiens sont très graves et rauques. Ils avaient leurs marchandises du pays et le père Bartolomé de las Casas leur en donna de Castille, ciseaux, couteaux, petits miroirs, grelots, que les indiens aimaient beaucoup, et  avec cette charge, il les envoya au pays du Quiché et Zacapulas, où il y avait un cacique très puissant, homme de bon jugement et intelligence, apparenté avec les grandes familles du pays, et si belliqueux qu’il était craint dans toute la région et qu’il ne se faisait rien dans toute la province qu’il n’ait décidé. Le père Bartolomé de las Casas envoya les marchands chez lui. Et comme à cette époque il n’y avait pas d’auberge ni de maison d’hôtes, tous les étrangers qui passaient par là venaient se loger chez le seigneur, qui les recevait avec humanité, les hébergeait et leur donnait à manger en fonction du rang de la personne ; et l’étranger reconnaissait le service rendu ou qui allait l’être en déposant aux pieds du seigneur quelque cadeau en fonction de ses possibilités."

 

 

 

Cobán, la cathédrale et le couvent

 

Ils chantent le catéchisme en Terre de Guerre

 

"Les marchands entrèrent chez le cacique comme à l’accoutumée, et grâce aux cadeaux de Castille, gagnèrent sa bonne volonté avec plus de sympathie que les autres fois où ils étaient venus chez lui ; ils ouvrirent leur étal et les gens se présentèrent pour acheter et ils vinrent plus nombreux que d’habitude en apercevant de nouveaux objets. Une fois la vente terminée pour la journée, la plupart des notables de l’endroit restèrent chez le seigneur pour lui faire la cour comme c’était la coutume. Entre-temps les marchands demandèrent un teplanastle, c’est-à-dire un tronc creux avec des sortes d’ouvertures ou de fentes par où sort le son, instrument de musique des indiens assez grave en raison de sa forme, qu’on frappe comme un tambour avec des baguettes enveloppées de toile, et pour l’accompagner ils sortirent les tambourins et les grelots apportés du Guatemala et au son de ces instruments commencèrent à chanter les couplets en vers qu’ils avaient appris. Le nouveau rôle des marchands, la surprise de les voir se transformer en musiciens, rôle qu’ils n’avaient jamais exercé dans ces contrées ; le fait de n’avoir jamais écouté d’instruments jouer ensemble, ni avec une telle harmonie et consonance ; s’entendre dire des choses qu’ils n’auraient jamais imaginées, comment avait été créé le monde, comment l’homme avait péché et comment pour retourner au paradis il fut nécessaire, conformément à la volonté divine, que le fils de Dieu mourût, et comment il vécut ; comment il était né d’une mère vierge et les miracles qu’il fit ; et surtout s’entendre dire que leurs idoles étaient des démons et que les sacrifices qu’ils leurs faisaient étaient détestables, en particulier tuer des hommes pour les remercier ; tout cela causa tant d’émerveillement au cacique et aux notables de l’endroit, et à toutes les autres personnes qui les avaient écoutées, qu’ils tinrent les marchands pour les ambassadeurs de nouveaux dieux, comme le firent les grecs de l’aréopage d’Athènes pour Saint Paul et Saint Barnabé. Parce qu’ils n’avaient jamais entendu le Christ Notre Seigneur, qui était le véritable ambassadeur."

 

(Antonio de Remesal, Historia general de las Indias occidentales y particular de la gobernación de Chiapa y Guatemala, livre 3, chapitre 15)

 

 

Cobán et sa cathédrale ; vue depuis la colline du Calvario

 

Fray Luis Cancer de Barbastro. Un des premiers Dominicains à suivre Las Casas au Guatemala. Né en Aragon, à une date incertaine ; mort à Tampa Bay, en Floride, en 1549. Il fut missionnaire chez les Indiens de la Verapaz. Il composa en langue locale : "Varias Canciones en verso sobre los Misterios de la Religion para uso de los Neófitos de la Vera Paz", dont le manuscrit a disparu. Voulant prouver l’efficacité de la méthode d’évangélisation pacifique de Las Casas, il alla en Espagne et obtint la charge de la conversion des Indiens de la Floride. Il partit de Vera Cruz pour la Floride en 1549 avec deux autres Dominicains. Leur pilote les débarqua dans une région où les Espagnols avaient commis de nombreuses exactions. Pour se venger, les indiens massacrèrent les trois religieux et les mangèrent.

 

 

Fray Luis Cáncer dans la Verapaz :

 

"Les Indiens le voyaient vêtu pauvrement ; il voyageait désarmé, son seul ennemi étant l’or ; il se contentait d’un peu de nourriture et ne mangeait que du poisson ; si bien qu’ils l’aimaient un peu plus chaque jour, lui et grâce à sa prédication, Jésus Christ notre seigneur. Il apprit leur langue qui est très difficile et leur enseigna les mystères de notre Foi, en insistant parce que cela les touchait sur l’immortalité de l’âme, vérité qu’ils entendaient bien volontiers et recevaient avec une grande satisfaction. Il demeura avec eux quelques années ; il leur prêchait avec toujours plus d'efficacité car il connaissait mieux leur langue, pour être resté longtemps avec eux en mission. Un jour, il leur demanda s’ils voulaient que d’autres de ses frères vinssent aussi les enseigner et vivre avec eux : ils répondirent que oui et qu’avec plaisir ils leur construiraient des maisons et subviendraient généreusement à leurs besoins, à condition qu’ils n’amènent pas avec eux les Espagnols qui se disaient Chrétiens. Le sage prédicateur donna son accord à cette condition, informant de tout cela le saint Evêque de Chiapa, qui avait le même point de vue pour la défense des Indiens. C’est pourquoi l’Empereur Charles Quint interdit par décret, sur l’avis de l’Evêque de Chiapa, à tout Espagnol, quel qu’il soit, de pénétrer ou de demeurer dans notre Province de la Verapaz."

 

(Agustín Dávila Padilla, Historia de la fundación y discurso de la provincia de Santiago de México de la orden de Predicadores, por las vidas de sus varones insignes y casos notables de Nueva España, 1562-1604, Bruselas, Casa de I. de Meerbeque, 1625 - Vida del Padre Fray Luys Cancer - Cap. LIV. De como eftuuo en la isla Efpañola, de donde vino a conuertir la Prouincia de la Verapaz con traça marauillosa.)

 

Fray Pedro de Ángulo. Né à Burgos, en Espagne, il vint en Amérique en 1524 comme soldat, mais intégra l’ordre dominicain en 1529, et devint un compagnon de Las Casas à Saint Domingue puis au Guatemala. Il fut nommé provincial des Dominicains du Chiapas et pressenti évêque de la Verapaz, mais mourut avant de l'être, en 1561. Fray Pedro de Angulo fut l’un des principaux acteurs des premières missions indiennes dans le sud du Mexique et le Guatemala. Il visitait les tribus d'indiens, leur parlait et vivait parmi elles. Il utilisa des dessins représentant les sujets bibliques pour illustrer ses sermons aux indigènes. Il possédait parfaitement deux langues indiennes, le Nahuatl et le Zutuhil, et rédigea plusieurs écrits sur des sujets religieux dans cette dernière langue.

 

 

Cobán, Verapaz, on décore les rues pour la procession de la Semaine Sainte

 

 

Fuentes y Guzmán conteste le récit d'Antonio de Remesal :

 

"En 1544, le Père Casas fît [un rapport] á S. M. Auguste, en trente-neuf feuillets, dont la couverture comporte deux sceaux et une trace de couture tout autour, ce qui laisse supposer qu'il était fermé comme un pli cacheté ; on en remît une copie au Conseil Royal et Suprême des Indes ; ce religieux avait informé S. M. qu'il avait pacifié la province du Lacandón et amené à notre ville de Goathemala quelques-uns de ses principaux caciques, et que les conquistadors et les autres habitants les avaient offensés, critiqué leur méthode de pacification et les avaient découragés de pacifier le reste de la cordillère du Nord, et que les caciques en question avaient très bien servi S. M. et aidé à la réduction des indiens. Au vu de ce rapport S. M. envoya des blasons et des armoiries aux caciques (que Las Casas n'avait en aucune manière conquis) et l'ordre de faire connaître par crieur public un décret Royal par lequel on interdisait aux conquistadors et aux résidents espagnols de les accompagner au risque d'entraver leur action de pacification ; pourtant l'enquête avait prouvé que ni le Père Casas, ni Ángulo ni aucun autre religieux de cette époque n'avait pénétré dans le Lacandón, et que les caciques qu'ils amenèrent à Goathemala ne venaient pas de la province de la Verapaz. Et en vérité ils n'étaient pas tous de ce territoire de la Verapaz, puisque le cacique D. Juan était seigneur de la région du Quiché, D. Miguel, de la circonscription de Chichicastenango, et D. Pedro seigneur des Sacattepeques des Mames ; j'en trouve la preuve dans l'histoire manuscrite de la Verapaz, favorable aux religieux, de D. Martín Alfonso Tobilla, alcalde mayor de la même province de la Verapaz, que je détiens en ma possession : il faut savoir que Sacattepeques des Mames est à plus de trente-quatre lieues de ce territoire de Tecuzutlan, au delà de la juridiction du corregimiento de Tecpanatitlan, administrée par les Franciscains, et encore au delà de celle de Quetzaltenango, également administrée par l'Ordre séraphique, et les Mames sont encore plus à l'Ouest, sous administration des Mercédaires ; et que les gens de la Verapaz se donnèrent et se soumirent à l'obédience Royale de leur propre volonté, spontanément, bien qu'ils se révoltèrent par la suite."

 

Francisco Antonio de Fuentes y Guzmán, Recordación Florida, 1691, première partie, livre XIV, chapitre III, Biblioteca de Autores Españoles, tomo 230, Atlas, Madrid, 1969.

 

 

 

Les axes de l'évangélisation dominicaine entre 1538 et 1553. Tiré de Jean Piel, dans Las Fronteras del Istmo, 2005

 

Marcel Bataillon également :

 

« Il n’y a pas, dans toute l’histoire moderne de la propagation du christianisme, de plus sensationnel épisode que celui de la Vera Paz tel qu’il est partout raconté depuis Fr. Antonio de Remesal. C’est aussi l’épisode crucial de la vie de Las Casas, le plus important peut-être pour apprécier son rôle historique, s’il est vrai que ce triomphe prépare la promulgation des Leyes Nuevas de 1542-1543, s’il est vrai aussi que l’élévation du moine à l’évêché de Chiapas vient récompenser son action de missionnaire efficace, inventeur et expérimentateur d’un mode de conquête évangélique, digne de remplacer partout la conquête guerrière. Mais les choses se sont-elles bien passées comme les raconte Remesal ? »

 

« […] Remesal a changé, avec une étrange audace, tout le caractère des faits et leur chronologie : la préparation secrète de 1537-1538 étant transformée en une action immédiatement triomphante que sanctionne la protection de Marroquİn et d’Alvarado. La conquête du Tezulutlán était un miracle accordé, dès 1538, à la foi de Las Casas dans l’évangélisation pacifique. »

 

(Marcel Bataillon, La Vera Paz, roman et histoire, dans Etudes sur Bartolomé de Las Casas, Centre de recherches de l’Institut d’études hispaniques, Paris, 1965)

 

 

Cobán, Verapaz, le parc Bartolomé de Las Casas

 

Le choix de Sepulveda : la guerre juste plutôt que l'évangélisation pacifique

 

"Si les indiens ne se soumettent pas au pouvoir des chrétiens, il n’est pas possible de les amener à la foi du Christ uniquement au moyen de la prédication et de la persuasion et sans que cela n’entraîne de grands périls et difficultés et beaucoup de temps. Il faut donc les obliger, non à ce qu’ils accueillent la foi du Christ, ce que l’on ne peut obtenir contre leur volonté, mais à ce qu’ils obéissent à l’autorité des chrétiens et cessent de rendre un culte aux idoles. Une fois obtenu cela, selon le précepte du Christ « oblige-les à entrer », et selon la parabole évangélique du banquet (c’est ainsi que l’Eglise interprète le passage dans ses décrets et décisions), les indiens sont amenés sans grand effort, par le moyen de la doctrine évangélique, à accepter la religion du Christ, comme l’expérience nous l’a montré et nous le montre encore. C’est pourquoi les Saints Pères célébrèrent avec raison par des louanges et donnèrent en exemple les pieuses actions de l’empereur Constantin et de Gennadius, exarque d’Afrique. Le premier interdit par la loi le culte des idoles sous peine de mort et de confiscation des biens ; le second s’efforçait de soumettre par la guerre les païens d’Afrique, voisins de l’empire romain, dans le but de leur prêcher l’évangile plus facilement une fois soumis, comme il est dit dans les épîtres d’Augustin et de Grégoire et dans le livre des décrets de l’Eglise. A cela s’ajoute l’interprétation des philosophes, identique à celle des juristes, qui soutiennent qu’on peut, de droit naturel, obliger les peuples barbares (c’est-à-dire ceux qui ont, publiquement et ouvertement, des coutumes et des institutions contre nature), y compris par les armes en cas d’opposition, à obéir à l’autorité des peuples plus civilisés et éduqués, afin qu’ils soient gouvernés par des lois considérées comme justes par ces derniers et par la nature. Et ces indiens-là en particulier violaient le droit naturel non seulement parce qu’ils rendaient un culte aux idoles, mais aussi parce qu’ils commettaient de nombreux homicides, approuvés par tous, soit d’innocents, qui étaient sacrifiés aux idoles sur des autels impies, soit de femmes qu’ils enterraient vivantes aux côtés de leurs maris défunts, hommes illustres."

 

(Juan Ginés de Sepúlveda, De Orbe Novo, Historia del Nuevo Mundo, Historia de los españoles en el Nuevo Mundo y en México, 1562)

 

Juan Ginés de Sepúlveda, Tratado sobre las justas causas de la guerra contra los indios, Fondo de Cultura Económica, México

 

La paix dura quelques années dans la Verapaz. Par la suite, les expéditions guerrières reprirent, malheureusement en accord avec les Dominicains :

 

"En ce mesme temps-là le Prieur de Coban de la Province de Vera-Paz nommé François Moran, vint à Guatimala, pour représenter au Président & à tous les autres Magistrats de la Ville la nécessité qu'il y avoit qu'on l'assistât, pour découvrir un chemin pour aller de cette Province-là en celle de Yucatan, & pour détruire les barbares qui empéchoient le passage, & venoient par fois piller les villages des Chrestiens.

Ce Moran qui estoit mon amy particulier, & qui avoit esté élevé dans le Monastère de Saint Paul de Valladolid en Espagne où j'avois pris l'habit de Religieux, souhaitoit fort que je fusse avec luy, afin de pouvoir plus facilement convertir ces payens idolâtres au Christianisme ; il me disoit que sans doute on trouveroit de grandes richesses en ce nouveau pays, dont je pouvois m'asseurer que j'aurois bonne part aussi bien que luy.

Je ne fus pas fort difficile à me laisser persuader, parce que sur toutes choses je souhaitois de pouvoir travailler à la conversion de quelque peuple qui n'eust jamais ouy parler de Jésus Christ ; de sorte que je me resolus à quitter la charge que j'avois dans l'Université, pour aller prescher le nom de Jesus-Christ à ce peuple infidelle.

Le Provincial eut beaucoup de joye de la résolution que je luy témoignay, & aprés m'avoir fait quelques presens & donné de l'argent pour mes necessitez, il m'envoya avec Moran à la Vera-Paz, avec cinquante soldats Espagnols que le Président nous avoit donnés pour nous escorter en ce voyage. [...]

Je me reposay donc jusqu'à environ minuit, que les sentinelles donnèrent l'alarme, & nous avertirent que les ennemis approchaient, & qu'on croyoit qu'il y avoit plus de mille hommes.

Ils s'approchèrent de nous comme des desesperez ; mais lorsqu'ils virent qu'ils estoient découverts, qu'ils entendirent le son de nos tambours, & qu'ils ouirent tirer nos fusils & nos mousquets, ils se mirent à heurler & à faire des cris si épouvantables que tout tremblant de la fiévre je fuyois encore de crainte & de frayeur.

Mais Moran qui vint se confesser à moy, & se préparer à la mort ou à recevoir quelque blessure mortelle, me consola, me disant que je ne devois rien craindre, que j'eusse à me tenir en repos ne leur pouvant servir de rien en l'estat où j'estois, que le péril estoit moindre que je ne croyois, parce que nos soldats s'estoient placez tout autour de moy ; de sorte que ces infidelles ne pouvoient entrer par aucun endroit au lieu où j'estois & que nous ne pouvions pas nous enfuir sans courir tous risque de la vie.

Le combat ne dura pas plus d'une heure ; car les ennemis après cela prirent la fuite : nous en prismes dix, & le lendemain matin nous en trouvasmes treize de morts sur la terre ; il y en eut aussi cinq des nostres qui furent blessez, dont l'un mourut le lendemain.

Le matin nos soldats se mutinèrent, témoignant qu'ils avoient dessein de s'en retourner, parce qu'ils craignoient encore une attaque plus forte & plus dangereuse que celle-là la nuit ou le jour suivant.

Car quelques-uns des Indiens que nous avions pris leur dirent nettement que si nous ne nous en retournions pas, nous estions assurez d'avoir six ou sept mille Indiens sur les bras.

De plus qu'ils sçavoient bien que les Espagnols possédoient tout ce pays là à la réserve de ce petit canton où ils demeuroient, & dont dont ils vouloient jouir en paix sans avoir rien à démesler avec nous ; mais que si nous voulions voir leur pays & y passer comme amis, qu'ils nous y laisseroient aller sans nous faire aucun mal.

Mais que si nous venions pour les combattre & pour les rendre esclaves, comme nous avions fait leurs voisins, qu'ils estoient tous résolus de mourir en combattant plutost que de se rendre."

(Nouvelle relation, contenant les voyages de Thomas Gage dans la Nouvelle Espagne, Paul Marret, Amsterdam, 1694, Chapitre XVIII, Comme l’auteur sortit de la ville de Guatimala pour aller demeurer avec les Indiens.)

 

 

A l'entrée de Cobán, Verapaz, l'emblème des Dominicains

 

 

 

 

 

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Un habit dominicain exposé dans le Museo del Trapiche (usine de canne à sucre), à San Jerónimo, Baja Verapaz, Guatemala. Cette fabrique était la propriété des Dominicains.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Une rue de Cobán, Verapaz

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La cathédrale de Cobán, ancien couvent de Saint Dominique de Guzman. Célébration du 800ème anniversaire de la fondation de l'ordre des dominicains

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La cloche brisée et la pierre installées à l’entrée de la cathédrale de Cobán, avec l’inscription suivante :

« Vous vous êtes sans doute demandé : Que fait cette pierre ici dans l’église cathédrale ? L’explication est simple. Cette pierre a été extraite directement de l’un des murs de ce temple ; en fait on construisit le temple avec des milliers et des milliers de pierres semblables à celle-ci.

Nous l’avons placée ici pour que les chrétiens du XXIème siècle se rendent compte de tout ce que la construction de cette église coûta à nos frères indigènes : il est certain que des centaines d’entre eux y succombèrent. On pense que les pierres ont été extraites d’une carrière qui se trouvait au lieu dit « Talpetate » et ensuite apportées ici sur les épaules de nos indigènes.

A quelle date a été construite la cathédrale ? On ne connaît pas la date exacte ; mais elle existait déjà certainement, telle que nous la voyons maintenant, dès la seconde moitié du XVIème siècle.

La direction du chantier appartint aux frères dominicains, dont on ne connaît pas les noms, mais l’architecte en fut certainement Fray Melchor de Reyes, qui dirigea par ailleurs la construction des églises de Rabinal et de San Juan Chamelco. Fray Melchor de Reyes mourût en 1579. Donc à cette date la Cathédrale existait déjà telle que nous pouvons l’admirer aujourd’hui.

Nous le répétons : nous avons placé cette pierre afin de mettre en évidence le travail si important de nos indigènes dans la construction des églises coloniales, travail qu’ils assurèrent aussi plus tard pour la construction de l’Eglise vivante qui devait grandir alors dans notre région de la Verapaz. »