De multiples aventures Dominicains et Franciscains en pays maya - XVIème siècle Un voyage de Las Casas au Tabasco et au Chiapas Pedro de Barrientos à Chiapa de Corzo Las Casas contre les conquistadors Fuensalida et Orbita, explorateurs
De nombreuses études Un frere ethnologue, Diego de Landa La connaissance des langues mayas Deux enseignants, Juan de Herrera, Juan de Coronel Deux freres historiens, Cogolludo et Remesal
Une multitude de constructions Un Franciscain architecte, Fray Juan de Mérida Le couvent de Valladolid au Yucatan Le couvent d'Izamal et ses miracles Au Yucatan, une église dans chaque village Un Dominicain infirmier, Matias de Paz
Une difficile entreprise d'évangélisation La fondation du monastère de San Cristóbal La province dominicaine de Saint Vincent Une évangélisation autoritaire Les Franciscains et la religion maya Un échec des franciscains à Sacalum, Yucatan Domingo de Vico, martyr dominicain
La fin de l'aventure
Compléments Las Casas et la liberté des indiens L'Histoire Ecclésiastique Indienne de Mendieta La route de l'évangélisation dominicaine au Guatemala Le couvent de Ticul, vu par John Lloyd Stephens Les Franciscains dans la vallée du Colca, au Pérou La route des couvents du Yucatan au XVIème siècle La mission dominicaine de Copanaguastla, Chiapas
A votre disposition, sur demande : - des renseignements concernant les pays mayas, - des textes numérisés sur la conquête et la colonisation des pays mayas
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Les Franciscains organisèrent un encadrement de tous les instants de la population maya du Yucatan afin de la convertir. Ils eurent des difficultés pour venir à bout de la résistance parfois ouverte, le plus souvent souterraine, de l'ancienne religion. Diego López de Cogolludo a fait, à l'époque, le récit de cette opposition. Un historien français du XXème siècle, Robert Ricard, le confirme dans sa "conquête spirituelle du Mexique", d'où sont tirés les commentaires qui suivent.
Robert Ricard, La Conquista Espiritual de México. Ed. Fondo de Cultura Económica, México.
Ce travail fondamental sur l'évangélisation des indiens du Mexique a été présenté comme thèse de doctorat en Sorbonne, en 1933 et publié par l'institut d'Ethnologie. Il n'est plus disponible en Français mais constamment réédité en Espagnol.
Les Franciscains bâtissent leurs églises sur les temples païens
Afin de mieux désorganiser et de mieux abattre le paganisme précortésien, les Franciscains s’étaient installés de préférence dans les agglomérations qui étaient en même temps des centres politiques et religieux […]. Ces centres religieux comportaient forcément un ou plusieurs sanctuaires établis au sommet d’une pyramide, et c’est sur ces pyramides qu’il parut plus opportun de fonder l’église et le couvent. (Robert Ricard, La conquête spirituelle du Mexique, Institut d’ethnologie, Paris, 1933, livre II, chapitre III)
« A l’époque de leur paganisme, les habitants de cette terre (le Yucatan) édifiaient habituellement les temples de leurs idoles sur des éminences, ainsi qu’il est indiqué dans le livre quatre et, comme le démon incitait le peuple d’Israël à idolâtrer dans des lieux élevés, plutôt qu’en plaine, il semble qu’il égarait nos indiens de la même manière, en les associant aux juifs par ce rite et cette cérémonie. La plus grande partie de ce pays étant parfaitement plate, le démon en profitait pour leur imposer de grands efforts pour le servir, car ils élevaient ces éminences à force de bras en amassant de la terre et des pierres, avec lesquelles ils formaient une colline où le temple était construit. Il y en avait plusieurs à l’endroit où est fondée Mérida et l’Adelantado (Francisco de Montejo) avait choisi la plus grande, proche de la ville, qu’elle dominait, pour édifier un château et une résidence fortifiée, avec les débris des deux temples qu’il mis bas, quand il vint soumettre cette région ; mais la divine providence avait l’intention d’en faire la forteresse spirituelle des fidèles, où édifier un temple à la majesté divine, dans lequel, dès lors, s’élèveraient des louanges à la divinité. Le père commissaire lui demanda de lui céder le site afin d’y fonder un couvent et l’Adelantado le lui concéda sans aucune hésitation ; il considérait, compte tenu de sa dévotion, que les prières des saints hommes apostoliques qui devaient l’habiter seraient la meilleure place forte. Mais il perdit la grâce et la rente perpétuelle accordée à ses successeurs, faute d’avoir réservé un autre endroit pour le château, et faute de l’avoir construit, comme il était convenu. »
Diego López de Cogolludo, Histoire du Yucatan, livre cinq, chapitre V
Acanceh, Yucatan, la pyramide maya, la chapelle et l'église paroissiale
Les indiens sont obligés d'apprendre le catéchisme
Dans les villages où se trouvait un couvent, le catéchisme avait lieu tous les dimanches et jours de fête. Le matin de bonne heure, les surveillants (merinos) de chaque quartier, dans les grandes villes, et les alcaldes, dans les villages, réveillaient les gens ; chaque quartier ou chaque village se rendait en groupe à l’église, une croix en tête et en récitant des prières. A l’église, on faisait l’appel ; on notait les noms de ceux dont le merino ou l’alcalde ne pouvait justifier l’absence.
(Robert Ricard, La conquête spirituelle du Mexique, Institut d’ethnologie, Paris, 1933, livre I, chapitre V)
« On fait aussi particulièrement attention à ce que, les jours de fêtes pour les indiens, tout le village assemblé récite toute la doctrine chrétienne et les questions du catéchisme, qui présentent les mystères de notre sainte foi catholique et leur explication dans la langue du pays, afin qu’ils les retiennent définitivement et sachent ce qu’il doivent croire pour être sauvés. Ce fut le travail des premiers religieux, avec un saint zèle, de les traduire dans leur langue, et nos contemporains l’ont amélioré et imprimé, pour que les indiens puissent le lire. Le jour de fête, on procède de cette façon : on donne le signal de bonne heure en faisant sonner la grande cloche et à partir de ce moment les habitants, hommes et femmes, viennent à l’église. En entrant, on place les hommes du côté où on lit l’Evangile et les femmes du côté de l’Epitre et, après avoir fait une prière au Très Saint Sacrement, ils s’assoient par terre et les responsables sur les bancs qui leur sont réservés. Une fois tout le monde rassemblé, deux sacristains se présentent, leurs habits rouges recouverts d’un surplis et, se tenant à l’entrée de la grande chapelle, à l’extrémité de la nef, chantent les quatre prières en septième ton, et les gens répètent ce que disent les sacristains. Le reste du catéchisme chrétien est chanté en plain-chant et quand cela est terminé, il est déjà l’heure de chanter la tierce du rosaire et de leur dire la messe, qui est célébrée plus tôt qu’en Espagne ou dans les autres terres froides, parce que les indiens ont besoin de rejoindre leurs occupations domestiques et leurs enfants laissés à la garde des maisons.
« Dès que l’on a commencé à chanter le catéchisme, deux tupiles (gendarmes du catéchisme) se placent aux portes de l’église, un fouet en main, et font comprendre à ceux qui viennent en retard, en leur donnant un coup de fouet à l’entrée, quelle paresse ils ont mis pour venir à une cérémonie aussi sanctifiée. On recommence le catéchisme l’après-midi, de la même façon, en commençant vers les deux heures à sonner la cloche et les gouverneurs, les maires et autres autorités y assistent. Pourtant, à cette heure-là, viennent plus les femmes que les hommes ; on n’insiste pas pour demander qu’ils viennent tous et on ne les compte pas minutieusement, comme le matin. Dans le courant de la semaine, on a l’habitude de demander à quelques indiennes des tribus de venir, chaque jour, à tour de rôle, afin qu’une présence soit assurée à la grand messe. Le gouverneur du village, les maires ordinaires et la plupart des régisseurs et des notables ou chuntanes (ah chun than) des tribus manquent rarement d’y assister. »
Diego López de Cogolludo, Histoire du Yucatan, livre quatre, chapitre XVII
Roberto González Goyri, un frère enseignant, Edificio Municipal, Ciudad de Guatemala, 1959
On endoctrine en particulier les enfants
Sans négliger les adultes, les Franciscains firent toutefois porter leur principal effort sur l’enseignement des enfants. Mais ils avaient l’habitude de diviser ceux-ci en deux catégories : les enfants de la basse classe, de la « gente baja », comme on disait, étaient rassemblés tous les matins après la messe dans les atrios des églises ; on les répartissait en groupes suivant leur connaissance du catéchisme, et on leur enseignait celui-ci, avec les principales prières. Rien de plus. Les fils des principales, c’est-à-dire les enfants de l’aristocratie indienne, étaient traités de façon différente, avec une sollicitude particulière, car c’étaient les futurs chefs du pays. Ces enfants vivaient dans les couvents, où ils étaient internes.
(Robert Ricard, La conquête spirituelle du Mexique, Institut d’ethnologie, Paris, 1933, livre I, chapitre V)
« Les jeunes plantes poussent sans problème bien droit et sont belles et agréables à regarder, si celui qui les plante ne ménage pas les soins et l’attention pour les cultiver. Les enfants, fils de nos indiens, sont les jeunes plantes de notre église militante. Puisque leurs parents naturels n’ont pas la vigilance voulue pour leur enseigner la doctrine chrétienne, il incombe aux ministres évangélisateurs de veiller à leur éducation spirituelle, afin que se développe la beauté de l’esprit en même temps que grandit le corps et qu’on puisse recueillir le fruit attendu de vrais chrétiens, en les rendant ainsi agréables aux yeux de Dieu et de ses fidèles. Si on les laissait aux soins de leurs parents naturels, pris par leurs travaux continuels et négligents par nature, ils pourraient être en danger, même pour la conduite de leur éducation temporelle. Le zèle des prédicateurs et de leurs maîtres spirituels a paré à cet inconvénient en habituant tous les garçons et les filles des villages à se rendre à l’église chaque jour de la semaine, où on leur apprend les prières et le catéchisme chrétien ; cette façon de faire permet d’atteindre le but sans trop d’efforts.
« On a déjà dit que tous les villages étaient divisés en quartiers. On désigne pour chacun d’entre eux, ou pour deux quartiers, s’ils sont trop petits, un tupil ou gendarme qui, le matin, au lever du soleil, rassemble tous les garçons de son quartier âgés de moins de quatorze ans et toutes les filles de moins de douze ans (qui est l’âge où on parle bientôt de les marier) ; ils forment une procession, les garçons sur une file et les filles sur une autre, le tupil en premier élevant une grande croix et entonnant d’une voix forte les prières en septième ton, et parcourent les rues qui mènent droit à l’église, où ils entrent dans le même ordre, se mettent à genoux pour adorer le Très Saint sacrement et restent dans cette position jusqu’à ce que tous soient arrivés. Alors un de ces tupiles (l’un d’entre eux est choisi à l’avance pour chaque jour) ouvre la séance, en chantant les prières sur le même septième ton et tous les répètent jusqu’à ce qu’il soit l’heure de la grand messe. Quand on fait le signe de chanter la tierce du rosaire, ils s’interrompent, restant présents au saint sacrifice de la messe. Celle-ci terminée, le prêtre sort et reconduit les autorités du village et leurs assistants.
On punit un indien qui a manqué la messe. (Dans : Samuel Champlain, Brief dicours des choses plus remarquables que Sammuel Champlain de Brouage a reconneues aux Indes Occidentalles en les années 1599-1602). "...la messe dite, le prestre donne charge à l'Indien qui sert de procureur de s'informer particullierement où sont les defaillans, & qui les face revenir à l'église, où estant devant ledict prestre, il leur demande l'occasion pour lequel ils ne sont pas veneus au service divin, dont ils allèguent quelques excuses s'ils peuvent en trouver, & sy elles ne sont trouvés véritables ou raisonnables, ledict prestre commande audict procureur Indien qui aye à donner hors l'eglise, devant tout le peuple, trente ou quarante coups de baston aux défaillants."
« Ensuite normalement il compte les enfants grâce à leurs listes (il y a d’autres listes pour les gens mariés) : il voit ainsi s’il en manque et leurs tupiles disent s’ils sont malades ou si leurs parents les gardent pour travailler. Si ce n’est pas le cas, on envoie les chercher ; quand ils arrivent, on leur donne deux ou trois coups de fouet, pour qu’ils ne manquent pas une autre fois, et on réprimande les tupiles pour leur négligence. S’ils ne se présentent pas sur le moment, ils restent repérés par la petite corde (conservée à la sortie de la messe) qui porte leur nom. Quand le religieux n’est pas disponible, le fiscal les compte.
« L’après-midi, ils ne viennent pas à l’église, afin d’aider leurs parents, autant qu’il est possible à ce jeune âge de pourvoir aux nécessités domestiques ; ayant donné à Dieu la plus grande partie de la matinée, ils ont le reste de la journée pour apprendre l’aspect pratique de la vie humaine, si bien que peuvent se développer en eux l’homme intérieur et l’homme extérieur, grâce à l’attention de leurs ministres évangéliques, qui, vigilants, s’occupent de l’un et de l’autre. Ils ne viennent pas le samedi parce que les mères leur lavent les vêtements. En poursuivant ainsi depuis l’enfance, on parvient à cultiver le penchant de ces indiens pour la dévotion au culte divin et la connaissance des règles à observer, en tant que chrétiens : dans le miroir limpide du catéchisme quotidien ils peuvent voir les vertus à suivre et les vices qui offensent la Majesté divine, et qu’ils doivent éviter.
« L’empressement des pères spirituels est si grand qu’on ne peut leur imputer à charge le fait que les indiens ne savent pas toutes les prières ni le catéchisme chrétien : en continuant en vain, à l’âge adulte, les efforts d’enseignement de l’enfance, on constate ou bien leur incapacité définitive (si ce n’est pas malice), ou bien leur mauvais naturel ; de fait, tel des étourdis, ils ne font pas attention à ce qu’ils répètent tant de fois. Car en plus de ce qui a été dit, lorsqu’ils se marient, on examine s’il le savent. Et chaque année, au moment de la confession, qui est obligatoire, on les questionne aussi. Et ayant été élevés de cette manière, ils restent peu attirés par l’église, par la messe et par les saints sacrements, comme je l’ai dit par ailleurs. Dieu leur donne sa grâce et son aide pour qu’ils le servent. »
Diego López de Cogolludo, Histoire du Yucatan, livre quatre, chapitre XVIII
Au Yucatán, aujourd'hui, la fête de Saint Bonaventure à l'église d'Homún (juillet 2024)
Des responsables indiens encadrent la population
Les Franciscains, trop peu nombreux, n’auraient pu mettre sur pied un enseignement aussi régulier et aussi général sans l’aide d’indigènes de confiance, qui secondaient à la fois les religieux et les fonctionnaires. Ces indigènes, que l’on appelait fiscales ou mandones en espagnol […], n’étaient pas seulement chargés de réunir les habitants pour les mener à la messe et au catéchisme […]. Dans les pueblos de visita, c’est-à-dire dans les villages où il n’y avait point de religieux à demeure, les mandones entretenaient l’église, tenaient les registres des baptêmes, baptisaient eux-mêmes en cas de nécessité, réconfortaient les agonisants, enterraient les morts, annonçaient les fêtes, les vigiles, les jeûnes, etc.
(Robert Ricard, La conquête spirituelle du Mexique, Institut d’ethnologie, Paris, 1933, livre I, chapitre V)
« Le premier jour de l’an, afin d’aider le cacique pour l’administration de la justice et du gouvernement des villages, on nomme deux alcaldes ordinaires, le nombre de régisseurs nécessaires et le procureur local, que le gouverneur confirme au nom du roi. Le même jour, on choisit des alcaldes dits des auberges et maisons communes, où on accueille les passagers, afin qu’ils leur fournissent la nourriture et les provisions. On choisit aussi un fiscal pour l’église, qui veille principalement à l’enseignement du catéchisme chrétien aux enfants, et on en nomme d’autres en qualité de gendarmes, pour qu’ils les fassent venir et les appellent quand ils manquent. On choisit encore d’autres ministres qui, munis du bâton de la justice royale, veillent à ce que les indiens débroussaillent leurs terres, sèment et cultivent leurs milpas, ou semis : car ils portent en général peu d’attention à cela alors que la survie de nous tous qui vivons sur cette terre dépend de leur soin et que s’il manque une récolte ceux qui en souffrent le plus sont les misérables indiens. On sait par expérience qu’ils sont si nonchalants et peu amis du travail, que même lorsqu’il s’agit de leur nourriture, il faut les obliger à semer, parce que pour la plupart ils ne prévoient nullement ce qui peut leur arriver, du moment qu’ils ont dans l’immédiat de quoi se nourrir. »
Diego López de Cogolludo, Histoire du Yucatan, livre quatre, chapitre XVII
Un groupe de musiciens mayas à Felipe Carrillo Puerto, ancienne capitale des Mayas rebelles pendant la Guerre des Castes (novembre 2023)
On attire les fidèles grâce à la musique
Les cérémonies étaient presque toujours accompagnées de chant et de musique. Les indiens chantaient généralement en plein-chant tantôt avec accompagnement d’orgue, tantôt avec accompagnement d’instruments ; et ces chœurs, nous dit-on, pouvaient soutenir avantageusement la comparaison avec ceux des églises d’Espagne. La partie d’orchestre devait être très riche, car on est frappé de l’extrême variété des instruments qu’on employait, la flûte, le clairon, le cornet, la trompette, real y bastarda, le fifre, le trombone, la jabela, ou flûte mauresque, la chirimía –espèce de chalumeau, la chalémie de l’ancien français-, la dulzaina –instrument voisin de la chirimía-, le sacabuche –espèce de trombone-, l’orlo –sorte de hautbois-, le rabel –notre rebec-, la vihuela de arco –espèce de guitare que l’on touchait avec un archet-, et enfin l’atabal, espèce de tambour.
Mais pour que messes et offices eussent toute la somptuosité désirée, il ne suffisait pas de disposer d’un grand nombre d’instruments variés, il fallait aussi avoir de bons musiciens et de bons chanteurs. On en recruta aisément. Les indigènes du Mexique sont grands amateurs de musique, et ils venaient de loin pour l’apprendre.
(Robert Ricard, La conquête spirituelle du Mexique, Institut d’ethnologie, Paris, 1933, livre II, chapitre IV)
« Pour célébrer les offices divins, il y a dans tous les villages un nombre déterminé de sacristains et de chantres. Les premiers veillent à la décoration et à la propreté de l’église et servent à l’autel. D’ordinaire ils les remplissent de fleurs car dans cette région il y en a une grande variété tout au long de l’année. Les seconds contribuent à la solennité des offices divins, qui doivent être chantés, selon la volonté de l’Eglise. Une chose digne d’attention est qu’il n’existe pas un village au Yucatan, si petit qu’il soit, où les offices divins ne se célèbrent pas au son de l’orgue et avec un chœur complet, comme le veut la musique. Dans les couvents, on y ajoute des petits bassons, des chalumeaux, des bassons, des trompettes et des orgues, ce qui donne plus de ferveur aux louanges à la Majesté divine. Ces prières sont fréquentes et quotidiennes : pour leur part, les prêtres chantent l’office divin ; par ailleurs, les jours de semaine, dans les villages que nous administrons, le maître de chapelle et la moitié des chanteurs entonnent, au lever du jour, les quatre petites heures de l’office de Notre Dame ; ils chantent ensuite la tierce de la fête du jour, avec la solennité voulue, et l’après-midi les vêpres, sans jamais y manquer, même si le prêtre n’habite pas sur place.
« Chaque samedi après-midi on chante le salve regina à la mère de Dieu avec beaucoup de solennité et grand concours de peuple : les femmes surtout assistent à cette dévotion, ainsi que le matin à la messe solennelle chantée. Tous les chefs-lieux ont des confréries de Notre Dame et célèbrent ses fêtes avec solennité. Chaque mois (et parfois chaque semaine) on chante une messe pour les membres de la confrérie. Il y a des confréries non seulement dans les chefs-lieux mais dans de très nombreux villages de visite, qui les unes et les autres fêtent les jours de la très pure Conception de la Très Sainte Vierge avec une particulière dévotion. Il y a un orgue dans chacun de nos couvents, ce qui n’a pas été sans difficulté car la plupart ont été apportés des royaumes d’Espagne, en prenant sur les aumônes qu’on nous donne pour notre subsistance et notre habillement, quand c’est possible, afin de mieux sublimer le culte divin. Dans les villages de visite ou annexes, où on n’a pas la possibilité de placer un orgue, on utilise des flûtes accompagnées de voix de basses, contre-altos, tenors et sopranos, qui tiennent lieu d’orgues et alternent avec les versets des psaumes. Beaucoup d’autres ont même des trompettes et des chalumeaux. C’est un sujet certainement digne d’éloge (de la part de ces gens considérés comme des barbares et connus pour leur rusticité) car si nous faisons la comparaison avec les villages de notre Espagne, nous constaterons que seules les églises dotées de rentes considérables ont l’équivalent, et que celles de cette région, qui n’ont aucun revenu, sont desservies avec autant de décence et de cérémonial grâce à la vigilance des religieux. Afin que ceci se perpétue, il y a des écoles à côté des églises, dans leur cour, où les maîtres de chapelle apprennent à lire, écrire et chanter à quelques enfants ; de cette façon non seulement on forme là des serviteurs du culte divin mais aussi des secrétaires utiles aux villages. »
Diego López de Cogolludo, Histoire du Yucatan, livre quatre, chapitre XVIII
Les religieux au pied de la Croix de l'Evangélisation,
sur la Calzada de los Misterios, à Mexico (monument élevé en 1999)
Les Mayas ne comprennent pas l'enseignement des Franciscains
Au Mexique, comme en tout pays de mission, s’était posé le problème de la traduction dans les différents idiomes indigènes des termes spécifiquement chrétiens, qui représentent des choses ou des concepts radicalement nouveaux pour les convertis. On s’explique aisément la précaution d’un Zumárraga, évêque de Mexico […], ordonnant de prendre garde à n’employer aucun terme qui puisse provoquer une confusion quelconque dans l’esprit des indiens.
(Robert Ricard, La conquête spirituelle du Mexique, Institut d’ethnologie, Paris, 1933, livre III, chapitre III)
« [Fray Luis de Villalpando] leur avait dit [en 1547], au cours de ses sermons, parmi d’autres notions spirituelles, que Dieu notre Seigneur a un grand amour pour les hommes, et que l’on peut comparer sa Majesté Divine à la poule qui, lorsque ses poussins lui demandent de les protéger, les abrite sous ses ailes, pour les défendre de l’épervier qui essaie constamment de les enlever afin d’avoir une proie à dévorer. Que sur le plan spirituel, les prêtres avaient le même rôle auprès des hommes, de refuge et de protection contre leurs ennemis les démons, qui par tous les moyens cherchaient à les tuer ; et qu’il fallait donc faire appel aux prêtres en cas de peines et de malheurs, pour trouver le vrai repos et le soulagement dont ils avaient besoin. Les indiens, vu leur peu d’intelligence et aussi à l’époque leur faible connaissance des mystères divins, prirent tellement à la lettre l’idée de s’abriter sous la protection du prêtre, que l’un d’entre eux, menacé d’un châtiment par un responsable, vint à la rencontre du père Villalpando et, s’abritant sous son habit, s’y installa sans dire un mot. Le père ne comprenait pas le motif de cette action mais le laissa faire, ne voulant pas lui causer de la peine en l’écartant, jugeant qu’il devait avoir une raison pour faire cela. Le fait se reproduisit plusieurs fois et le père voulait savoir quelle pouvait être cette raison, quand il advint qu’un enfant, se plaçant derrière lui, se couvrit de son habit. Il lui demanda pourquoi il agissait ainsi et l’enfant lui répondit : on veut me fouetter et je viens me mettre sous ta protection, parce que tu es un père miséricordieux et que je te l’ai entendu dire il y a huit jours. Il se rappela ce qu’il leur avait prêché et rendit grâce à la Majesté Divine, en voyant qu’ils recevaient si bien son enseignement et combien ils étaient doux et dociles. Aussi, depuis lors, quand se produisait le même fait, il leur disait de laisser tranquille celui qui venait se mettre sous sa protection, car il était juste que le père de leur âme et le prêtre du Christ fût le refuge des pécheurs et de ceux qui étaient dans l’erreur, si bien que l’affection des indiens et le respect envers leur père spirituel s’accroissaient, de sorte qu’ils exécutaient sans aucune répugnance tout ce qu’il leur ordonnait. »
Diego López de Cogolludo, Histoire du Yucatan, livre cinq, chapitre V
Rebeliones indígenas de la época colonial, recueillies par María Teresa Huerta et Patricia Palacios, Instituto Nacional de Antropología e Historia, México, 1976
Une révolte éclate dans l'est du Yucatan
Du côté indigène, l’évangélisation se heurta à bien des obstacles. Les populations du centre du Mexique ne firent pas de résistance violente à l’entrée des missionnaires et à la prédication de la foi chrétienne […]. Au contraire, il y eut (dans d'autres régions) un mouvement général qui entraîna un grand nombre de tribus, qui faillit mettre fin à l’occupation européenne. Or le caractère religieux de ce soulèvement ne fait aucun doute : ce n’était pas seulement pour leur liberté que luttaient les insurgés, mais aussi pour leur religion, et ce n’était pas seulement contre l’Espagne, mais aussi contre le catholicisme. (Robert Ricard, La conquête spirituelle du Mexique, Institut d’ethnologie, Paris, 1933, livre III, chapitre II)
« Ils tinrent cachée leur mauvaise intention jusqu’à ce que, le neuf novembre mille cinq cent quarante six, la tempête éclata ce jour-là en plusieurs endroits, comme ils l’avaient prévu, pour mieux réussir leur coup. Les premiers à être pris dans cette avalanche de malheurs, ce furent deux frères espagnols, nommés Juan Cansino et Diego Cansino, fils légitimes de Diego Cansino, qui avait été l’un des conquérants de la Nouvelle Espagne, et de Magdalena de Cabrera. Tous deux se trouvaient dans le village de Chemax, sans se douter aucunement de la belle surprise que préparaient les indiens. Un grand nombre d’entre eux les assaillit et comme ils les surprirent tout à coup sans armes pour se défendre, ils durent se rendre immédiatement. On mesurera la haine qu’ils avaient envers les espagnols par la mort lente qu’ils firent subir à ces deux jeunes hommes (prémisses de leur vengeance), car ils ne les tuèrent pas aussitôt, ce qui aurait ressemblé à un sursaut de colère, mais ils retardèrent toute la journée leur mort avec de terribles tortures, ce qui fut une preuve évidente de leur cruauté. Ils avaient préparé deux croix et les attachèrent chacun sur la sienne ; ils s’éloignèrent à portée d’arc et tirèrent, l’un après l’autre, sur les deux jeunes hommes crucifiés, cible de leur révolte, les couvrant de flèches. Les victimes se rendaient compte que la principale aversion des indiens provenait du changement de religion et de coutumes qu’on leur avait imposé, en leur interdisant le culte public de leurs idoles, et ils les exhortaient depuis leurs croix à revenir à la soumission qu’ils avaient faite au roi et promise à l’église. Le seul fruit qu’ils en retiraient était d’entendre des blasphèmes exprimant la haine de l’un et le mépris absolu de l’autre. »
Diego López de Cogolludo, Histoire du Yucatan, livre cinq, chapitre II
Les Mayas continuent à pratiquer leur ancienne religion en secret
Mais, le plus souvent, il s’agissait d’une résistance voulue et consciente […], car les indiens ont renoncé en apparence à l’idolâtrie, mais ils continuent la nuit, en secret, d’aller adorer leurs dieux et leur offrir des sacrifices […]. Si l’on découvrait et détruisait leurs idoles, ils en fabriquaient de nouvelles. Ce ne sont pas seulement des indiens qui dissimulent des idoles, ce sont aussi des sacrifices humains, des indiens qui se cachent lorsque les Franciscains viennent prêcher et baptiser, qui ne veulent pas construire d’église, qui se livrent à des plaisanteries blasphématoires et sacrilèges, qui font de la propagande païenne auprès des enfants et des jeunes gens. (Robert Ricard, La conquête spirituelle du Mexique, Institut d’ethnologie, Paris, 1933, livre III, chapitre II)
Les Franciscains s’opposent aux sacrifices humains (palais du gouvernement, Valladolid)
« Parvenu dans un village appelé aujourd’hui Zitaz [Dzit Haaz], sur les terres des Cupúles, [Diego de Landa], fatigué, après avoir marché à pied dans une région si chaude, eut l’idée de se loger dans la maison du cacique de ce village. La maison avait vue sur la place et, en y arrivant, il la trouva entièrement décorée et ornée selon leur usage, préparée au mieux pour un sacrifice solennel qu’ils voulaient offrir à leurs idoles. Il y avait plusieurs grands vases remplis d’une boisson dont ils s’enivraient au cours du sacrifice et un autre plein d’un breuvage grâce à quoi ils privaient ceux qu’ils sacrifiaient de l’usage de la raison, les endormaient et les mettaient hors d’eux, si bien qu’ils ne se rebellaient pas quand on leur ouvrait la poitrine et qu’on leur arrachait le cœur, qui servait à asperger de sang les idoles, en l’honneur desquelles avait lieu cet acte si inhumain. Ils se disposaient à exécuter le sacrifice sur un jeune homme âgé de dix-huit ans environ, couvert de fleurs et ligoté à un poteau. Le père Landa, sans montrer la moindre peur ni dire un mot aux indiens, alla jusqu’au poteau où le misérable jeune homme était attaché et le libéra, le plaçant à son côté. Il fit tomber les idoles de leur emplacement, brisa les récipients de cette boisson idolâtre et, inspiré par Dieu, leur dit d’écouter ce qu’il voulait leur apprendre pour le bien de leurs âmes.
« Il y avait plus de trois cents indiens présents à cette cérémonie et, dans ces circonstances, poussés par le démon, d’ordinaire ils devenaient furieux comme des lions ; cette fois-là, ils ne firent rien de plus que se regarder les uns les autres, étonnés mais calmes contrairement à leur habitude, pour entendre ce que le saint homme apostolique voulait leur dire. Les voyant tranquilles, il leur fit un grand discours pour leur démontrer qu’ils devaient impérativement connaître, aimer, craindre et servir un seul Dieu véritable, infini et tout puissant, créateur de toutes choses, récompensant les bons et châtiant les idolâtres et les pécheurs. Que sa justice divine ferait peser sur eux sa menace en cas de mort de ce jeune homme innocent, à qui ils voulaient injustement ôter la vie. Qu’ils sachent que sa majesté ce Dieu unique l’avait envoyé en cette occasion, leur dit-il, afin qu’ils ne commettent pas une telle méchanceté et d’éviter que ce jeune homme, en mourant de la mort temporelle qu’ils voulaient lui donner, ne tombe dans la mort éternelle, en mourant sans être chrétien. Il leur démontra la bonté de Dieu notre seigneur, qui accorde son amitié au pécheur repenti, et la cruauté du démon qu’ils adoraient à travers ces idoles. Que Dieu seul était maître de la vie et qu’on pouvait l’exposer uniquement dans les situations que permettait sa sainte loi : que c’était glorieux de la donner pour sa foi et plein d’ignominie de l’offrir au démon. Que le père Eternel envoya son fils unique dans le monde, fait homme, mu par une charité infinie, afin qu’il nous rachète, en mourant pour les hommes afin de nous donner la vie éternelle. Que seul le Dieu dont il parlait pouvait leur accorder la vie dans l’autre monde et la vie temporelle que nous avons maintenant dans celui-ci. Que leurs faux dieux ne pouvaient la donner ni l’enlever et que le démon les persuadait de s’ôter la vie les uns les autres, pour les emporter plus vite en enfer, afin qu’ils subissent d’éternels tourments en sa compagnie.
Toutes ces vérités ayant été répandues, Dieu ébranla par leur moyen les cœurs de ces idolâtres qui, très affligés, lui demandèrent de prendre le temps de leur enseigner ce qu’ils avaient entendu car ils désiraient l’apprendre et, pour le prouver, ils brisèrent eux-mêmes les idoles en sa présence. Consentant au souhait des indiens et voulant lui-même les voir chrétiens, il demeura avec eux pour les catéchiser et les enseigner, parcourant tout ce territoire, jusqu’à ce que l’obédience l’appelle, au début de l’année cinquante et un. Les indiens dirent par la suite que s’ils étaient restés si tranquilles, lorsqu’il avait détaché le jeune homme et brisé les idoles, c’était dû à la terreur que leur avait causée la grande clarté qui illuminait son visage, quand il leur parlait. »
Diego López de Cogolludo, Histoire du Yucatan, livre cinq, chapitre XIV
Dzitas, Yucatan, la danse du dindon, Kots kaal tso’, célébrée chaque année le 21 janvier. Une danse d'origine préhispanique dédiée à présent à Sainte Agnès (janvier 2024)
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L'église de Saint Louis Evêque, à Calkini (Campeche). Le couvent est construit sur une plateforme maya.
"Le couvent est terminé, avec son cloître haut et bas, son dortoir et ses cellules, [...] et le tout est situé sur un ku ou mul des anciens." Antonio de Ciudad Real, Tratado curioso y docto de la grandezas de la Nueva España, capítulo CXLIX, De cómo el padre comisario prosiguió la visita y llegó a Calkini, 1588
Procession à Tehuacan, Mural du Musée de Peñafiel et de la Fontaine de El Chorrito, peint par Desiderio Hdz. Xochitiotzin
Catéchisme du père Jerónimo Martínez de Ripalda. Il a été utilisé pendant des siècles non seulement pour enseigner la doctrine chrétienne, mais aussi l'espagnol, l'éducation civique et la lecture. Il en a été fait de nombreuses traductions, notamment en náhuatl, otomí, tarasque, zapotèque et maya (ici une édition de 1886)
Eric Roulet, l'évangélisation des Indiens du Mexique, impact et réalité de la conquête spirituelle (XVIème siècle), Presses Universitaires de Rennes, 2008
Le livre d'Eric Roulet peut être lu sur internet à l'adresse books.openedition.org/pur/3526
Les chantres indigènes (mural du Palais du Gouvernement à Oaxaca, peint en 1980 par Arturo Garcia Bustos)
Un symbole qui prête à confusion pour les indiens : la sainte Trinité (cathédrale de Quetzaltenango, Guatemala)
L’église Saint Antoine de Padoue à Chemax, Yucatan, construite au XVIIème siècle |